Timworld, les aventures multiculturelles d'une jeune maman

Timworld, les aventures multiculturelles d'une jeune maman

Mes héros, mes inspirations


Idrissa Ouedraogo, souvenirs de Kampala.

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Idrissa Ouedraogo

 

 

Kampala Octobre 2010. En tant que Coordinatrice Culturelle de l'Alliance française de Kampala, nous organisions avec le Goethe-Zentrum (avec qui nous partagions nos locaux) le French-German  film festival prévu du 11 au 14 Novembre de la même année. Il ne nous restait que quelques semaines et aucun des cinéastes français n'avait répondu à notre invitation. Certains disaient pourtant pouvoir faire venir Gérard Depardieu mais ça c'est une autre histoire…

 

>>> A lire Dakar, Kampala, Libreville puis Antananarivo! 11 ans loin de chez moi...

 

J'avais rejoint l'équipe quelques mois avant et ce beau projet était déjà en cours d'élaboration. C'est donc avec un immense plaisir que je coordonnais ce projet avec ma collègue germanique. 12 films (longs et courts métrages, animations) étaient prévus à l'affiche, des films français, allemands et ougandais. Lors d'une discussion avec mon époux concernant la programmation française, il me posa cette question, “vous voulez un cinéaste français ou francophone. Si vous voulez un cinéaste francophone ça change tout, pourquoi ne pas inviter Idrissa Ouedraogo”, mon visage s'est illuminé ! Le frère du célèbre cinéaste burkinabè est un de nos voisins de quartier. Après avis et accord de ma hiérarchie l’invitation a été lancée et pour ma plus grande joie, acceptée ! J'étais tellement heureuse et fière de faire venir un cinéaste burkinabè mais surtout un artiste exceptionnel… je ne devais pas me louper puisque cette idée venait de (chez) moi.

 

A cause d'un changement de vol, Idrissa n'a pas pu être là pour le cocktail de lancement. Fort heureusement il arriva le lendemain fatigué mais sain et sauf. J'avais 26 ans, j'étais en admiration devant la simplicité et l'humilité de cet homme dont j'avais vu et revu les films, que dis-je, les chefs d'œuvres, sans jamais m'en lasser. Au programme son film KINI et ADAMS quelques uns de ses courts métrages, un dessin animé français côté francophone et le film “The PIANIST” une production germano-française, des films et courts métrages allemands et ougandais. Prévu aussi des séances de questions réponses après les projections et des masters class avec Idrissa et les cinéastes ougandais et autres invités présents.

 

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Le jour de la projection de KINI et ADAMS je me tenais à ses côtés, fière comme un paon face à cette salle pleine à craquer. Je jubilais. Les chaises du Cineplex Cinéma, Garden City Mall étaient toutes occupées, ainsi que les marches, il n'y avait plus de place pour rester debout et il y avait autant de personnes à l'extérieur, déçus de n'avoir pas pu entrer. Le festival a été un succès mais c'est la seule séance où il y a eu autant de monde. Les ougandais le connaissaient, ils connaissaient et attendaient ce film, ils voulaient voir Idrissa, ils étaient là pour lui et pour le célébrer ! C'était magnifique !!

 

>>> A lire Ouagalaisement vôtre!

 

Je me souviens de ce séjour et de l'honneur qu'il m'a fait de venir. Je me souviens de nos discussions libres, franches et pleines d'humour. Je me souviens de ta description passionnée de tes projets de films. Je me souviens de tes conseils, de cette sagesse et je me souviens surtout de cette simplicité qui te caractérisait. Ce séjour était pour moi une leçon de vie. Voir ces personnes, à son hôtel et au cinéma, l'approcher, lui serrer la main, prendre des photos avec lui, lui poser des questions, le féliciter , pleurer de joie en le voyant c'était incroyable. Je savais que l'homme avait du talent mais j'ai su à Kampala que c'était un artiste phénoménal et transfrontalier.

 

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Yaaba, Tilaï, Samba Traoré, Kadie Jolie,...toutes ces oeuvres m'ont fait pleurer, apprendre et rire. J'ai appris tonton, avec une immense tristesse, ton départ ce dimanche 18 Février. Tous mes souvenirs d'enfance devant la télévision familiale et ceux de Kampala me sont revenus… Mes prières t'accompagnent et j'ai une grande pensée pour ta famille, tes proches et tous les cinéphiles qui te pleurent. Je suis de ceux qui pensent que nous devons plus encourager et surtout célébrer nos artistes de leur vivant. Tu es venu sur terre, tu as vécu et tu as vaincu au Fespaco, à Cannes, Carthage, Berlin, Milan, Venise, Tunis,... et Kampala. Merci pour cette leçon de vie!

 

Tim, une cinéphile reconnaissante.


21/02/2018
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Baba, un homme bon!

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 Baba Souleymane Konkobo 

 

Je vais vous parler d'un homme que je n'ai pas eu la chance de connaître mais que j'admire et respecte profondément. Un homme bien, bon et valeureux dont mes belles sœurs et moi avons eu le plaisir de porter et de mettre au monde les petits enfants. Il s'appelait Souleymane Konkobo, ses enfants l’appelaient Baba (papa en langue mooré) et c'est notre beau père. 

 

Tous ceux qui m'ont parlé de lui me dise la même chose : “c'était un homme bon!” ou “il émanait de lui une infinie bonté et beaucoup de joie” “il avait un beau sourire serein”. Un seul article ne pourra pas lui rendre tout l'hommage qui lui est dû mais vous fera découvrir cet homme inconditionnellement burkinabè et exceptionnellement bon. 

 

Son histoire est celle de ces milliers d'hommes et de femmes burkinabè qui un jour ont quitté leur pays pour aller travailler dans la sous région Ouest africaine et surtout en Côte d’ivoire. Ces héros du quotidien qui ne sont que des chiffres et des statistiques pour certains mais dont les vies sont de véritables leçons de courage, d'audace et de détermination. 

 

Baba lui était profondément attaché à ses racines et à sa famille restée au Burkina Faso et a fait en sorte que tous ses enfants connaissent leur pays et leur famille en y revenant souvent pour les vacances. Il a toujours eu pour objectif de rentrer définitivement au pays avec femme et enfants après sa retraite. Il en sera ainsi. 

 

Baba est né à Kandar Zana avec un seul rein. Cette singularité physique n'est que le début de sa singulière et si enrichissante vie. Musulman pratiquant, il est l'unique enfant connu d'un père mossi et le seul fils de sa mère gourounsi qui eut ,après la disparition de son mari, une fille d'un second mariage. Il était l'un des porteurs de masque de son village, rôle qui n'est confié qu'aux initiés. Très jeune il part d'abord à l'aventure au Ghana où entre autres métiers il est tailleur

 

Puis il part pour la Côte d’ivoire où il emporte avec lui entre autres choses, sa machine à coudre et sa détermination. Il trouve du travail à Abidjan à la Chambre de Commerce comme gardien. Il revient souvent au Burkina, plus précisément à Latodin (vers la ville de Yako) où est affecté son cousin en tant que catéchiste.

 

Lors d'un de ses séjours au pays, il jette son dévolu sur une belle et fière mossi qu'il épouse et fait venir à Abidjan pour le rejoindre. Très réticente au départ selon des témoignages et ses propres aveux, il su la convaincre et la rassurer. L'un des avantages de son emploi était d'avoir un logement et c'est dans cette villa qu'ils ont vécu pendant près de 20 ans.

 

Ma belle mère me racontait souvent, avec beaucoup de fierté et de nostalgie que de nombreuses femmes courtisaient son mari à cause de sa beauté mais "qu'il ne les voyait même pas et n'avait d’yeux que pour elle"! La suite de son histoire vous fera comprendre à quel point il l'a aimé ainsi que ses enfants.

 

Marié tard, Baba eu son premier enfant à la quarantaine. S'en suivront 6 autres, 7 enfants donc dont 6 garçons et une fille. Tous mes respects à ma belle mère parce que éduquer 6 garçons relève de l'exploit! À Abidjan, le couple a accueilli et élevé de nombreux neveux et parents pour quelques jours ou pour plusieurs années; au Burkina Faso, il a assuré le soutien à plusieurs autres neveux et parents. 

 

Il vint alors à l'idée des parents restés au Burkina de lui envoyer une seconde épouse pour parfaire, selon eux, ce bonheur. Seconde épouse que Baba confit très rapidement pour ne pas dire donne à un de ses neveux sur place à Abidjan qui l'épouse. Les anecdotes de ma belle mère sur cet épisode de leur vie sont cocasses.

 

Toujours à la recherche du mieux être de sa famille, illettré Baba comprit très vite l'importance de l'instruction et notamment des bonnes écoles. Baba inscrivit alors chacun de ses enfants dans des écoles privées catholiques  sérieuses à Abidjan (l'École Jean Bosco notamment qui a produit nombre de hauts cadres ivoiriens)  pour qu'ils y reçoivent la meilleure éducation scolaire possible. Ses enfants tirent encore les bienfaits de cette décision de visionnaire.

 

Passionné d'élevage il a investi dans des têtes de bétail et dans l'agriculture. Malheureusement les contrats étant verbaux à l'époque, beaucoup de ses biens furent spoliés ou perdus. Mais avec la diversité de ses investissements il a donné le meilleur aux siens tout en gardant les deux pieds sur terre. 

 

Baba accompagnait son épouse au marché pour l'aider à faire ses courses quand il était disponible. Le dimanche était le jour de lessive où, pour soulager sa femme, il lavait lui même tous les habits de la famille. C'était aussi un jour privilégié pour les enfants parce que chaque enfant passait la journée avec lui à son lieu de service, à tour de rôle et l'aidait pour l'entretien général de l'enceinte de la Chambre de commerce et la lessive hebdomadaire. Mon mari me raconte que ces dimanches avec lui étaient vraiment des moments privilégiés de bonheur pour eux de causeries, de joies et de partages avec leur père. Le bonheur c'est finalement peu de choses...

 

Il a ouvert pour sa femme une boutique devant leur porte pour lui permettre d'avoir une activité génératrice de revenus pour la famille. Leur maison disposait de la première télévision du voisinage et est vite devenu le lieu de rassemblement des grands et des petits pour la suivre mais aussi pour s'amuser et discuter. Les talents culinaires de ma belle mère y étaient peut être aussi pour quelque chose...

 

Les visiteurs connus et inconnus étaient biens accueillis et servis. Baba empêchait même ses enfants de jouer à l'heure de la sieste pour que les voyageurs, surtout nomades, de passage puissent dormir et se reposer aussi longtemps qu'ils le voulaient. Tout manquement aux règles était passible d'une menace d'être battu avec sa “crawasse" (c'est comme ça qu'il le prononçait selon mon mari), cravache qu'il brandissait mais qui n'a jamais atteint personne selon ses enfants. 

 

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 Troisième décoration! 

 

Les années sont passées, il fut décoré à 3 reprises pour son travail et son intégrité par la Chambre de Commerce à Abidjan.  Puis vint l'âge de la retraite et Baba décide de rentrer vivre au Burkina avec femme et enfants. Malgré les réticences de certains et un retour difficile pendant les premiers moments, il les a tous ramené finalement vivre dans la maison qu'il a construit à Ouagadougou à Zogona. 

 

Konkobo signifie en réalité en mooré “kong naam kon kong koob yéé” traduction approximative “si nous n'avons pas eu la royauté nous ne manquerons jamais de cultiver  (travailler)”. Tout est dans le nom! Konkobo Souleymane n'était pas nanti mais il a toujours travaillé dur pour offrir le meilleur à sa famille en leur inculquant des valeurs saines et solides: l'amour inconditionnel de sa famille, le respect, l'intégrité, le courage, la foi, le travail et l'amour du prochain. 

 

Seul musulman de sa famille composé de catholiques et de protestants, il est resté croyant pratiquant et a donné à ses enfants une bonne éducation tout en leur inculquant l'esprit d'ouverture et l'acceptation des autres dans toutes leurs diversités de cultes, de croyances et d'origines. Il est la preuve que le travail et l'intégrité payent et que la bonté peut être personnifiée. Ses enfants parcourent désormais le monde sans crainte armés de cette éducation et de ses valeurs qui n'ont pas de prix. 

 

Baba nous a quitté le 13 Août 1998, lâché par son seul rein qui avait fait de son mieux pour le porter pendant plus de 73 ans.  Il a été suivi 3 ans plus tard en 2001 par son unique fille chérie et  le 31 Mai 2015 par sa chère et tendre épouse. Nul doute qu'ils veillent tous sur leur famille. 

 

Je ne sais pas ce qu'est pour vous la réussite mais  si plus tard, nos enfants parlent de leur père comme mon mari parle du sien nous aurons réussi! Si nous arrivons à donner à nos enfants l'éducation que nous avons reçue de nos parents nous aurons réussi. C'est le bien le plus précieux que nous pouvons leur laisser. Prenez le temps d'aimer et de profiter de vos enfants et de vos conjoints, ces moments inestimables resteront à jamais gravés dans leurs mémoires.

 

Merci d'avoir une pensée pieuse pour notre Baba adoré parti il y a 18 ans.  Je n'ai pas eu la chance de le rencontrer mais  je découvre ses traits physiques sur mes enfants et mes neveux et nièces et j'espère aussi retrouver ses traits moraux en eux. Nous ferons de notre mieux pour que perdurent ses valeurs. Il fait incontestablement partie de mes inspirateurs!

 

Fatim, épouse et heureuse maman de 3 magnifiques Konkobo

 


15/09/2016
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Mon père, mon héros!

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               Ce sourire qui nous manque...

 

Mi-2013 aéroport de Libreville, je me dirige vers le parking, un homme passe devant moi et a sur le talon une tâche noire. Je me fige, je l'observe partir et je décide de le suivre. Il s'assoit avec des amis et je l'interpelle pour lui demander si sa tâche sur le talon est qu'une tâche ou une plaie, il regarde la nettoie et me dit s'être juste taché dans sa voiture. Je suis soulagée. Il me remercie longuement parce qu'il a compris à quoi j'ai pensé: un mélanome! Ce cancer de la peau qui a emporté mon papa 9 mois plus tôt. 

 

27 Octobre 2012, je me réveille après une nuit agitée à Douala. J'y suis depuis 2 jours avec ma fille de 1 an. Nous sommes venues fêter la Tabaski chez mon beau frère. Mon mari devait nous rejoindre mais a raté le vol 3 fois  (retard, annulation) , ma belle soeur aussi a raté son vol et son avion à eu un retard de 2 jours. Tout cela aurait dû m'alerter sur la particularité de cette Tabaski. Mais rien ne vous prépare à une telle nouvelle. Absolument rien!

 

Il est donc 8h du matin et quand je descend je trouve un frère de coeur (aussi ami a mon beau frère) avec son épouse qui sont déjà là. Et je me dis "quelle belle amitié", ils viennent si tôt pour les aider à achever le mouton de la Tabaski! Je salue je m'assois et là je comprends que ce n'est pas le mouton qu'on va achever mais moi. Je n'ai jamais autant voulu être sourde, jamais autant souhaité, je l'avoue, la mort d'une autre personne. Et mon beau frère se lance avec beaucoup de diplomatie: "papa nous a malheureusement quitté cette nuit". Je m'effondre sur ma belle soeur. Je pleure mais je me ressaisis parce que le plus important est de rejoindre ma famille à Ouagadougou pour l'enterrement. Je suis sonnée mais je comprends, même si je n'accepte pas la réalité. Les douleurs de l'expatriation...

 

La veille, jour de Tabaski, le 26 Octobre 2012 vers 16h j'appelle mon papa pour lui souhaiter bonne fête. Ayant tenté toute la matinée sans succès de lui parler. Ma mère m'affirmait qu'il allait bien mais qu'il se reposait, bizarre. Je connais ce scénario, ma grand mère est décédée un jour de fête de Ramadan et on m'a aussi donné les mêmes réponses. Mais là c'est mon père, il ne peut pas nous faire ça... pas en ce jour de Tabaski, il tenait tellement à cette fête en particulier et tout programme qui pouvait l'éloigner de chez lui pour ce jour avait été annulé. Il y'a des signes que nous refusons de voir...

 

Il décroche finalement lui même le soir et me demande comment je vais , on discute , il a l'air un peu fatigué mais il me béni et passe le téléphone à ma mère. C'est le dernier contact que j'ai eu avec lui. Je suis là dernière personne à lui avoir parlé au téléphone. Si je savais... Je l'ai vu pour la dernière fois le 02 Octobre 2012. Si je savais... J'appelle mes soeurs une à une et personne ne décroche ne sachant quoi me répondre. Une d'entre elle finit par me répondre et me dit que tout va bien et que papa est juste fatigué à cause de la fête et du bruit. Mais je ne suis pas sereine.

 

Apres l'annonce je pense tout de suite à ma mère et à toute la famille. Je les appelle et ils m'attendent pour l'enterrement, moi la benjamine. C'était le souhait de son père qu'on attende tous ses enfants avant de l'enterrer parce que lui même était absent aux décès de ses 2 parents. Mais nous sommes musulmans et l'attente, je le sais, aura des limites. Mon époux de loin coordonne avec mon beau frère, mon cher frère de coeur. J'ai un vol pour midi, il est annulé dès notre arrivée à l'aéroport, le prochain vol était pour minuit. Au journal de 20h du Burkina  (vive le satellite) on parle du décès de papa et ils lui rendent hommage. C'est donc réel ce que je vis?!

 

Minuit nous retournons à l'aéroport, le vol est confirmé. Mon beau frère son épouse, mon cher frère de coeur et son épouse m'accompagnent. Je mets ma fille au dos et leur dis au revoir. 1h de retard puis nous embarquons pour Cotonou où un collègue de mon frère nous attend. Nous dormons vers 4h. Ma fille tombe du lit durant notre sommeil agité. Je lui demande ce que je lui ai fait pour qu'elle veuille se faire du mal? La pauvre... je n'aurais pas pu supporter un choc de plus. Réveil à 6h départ pour l'aéroport à 8h. Nous sommes dans l'avion pour ouaga et je gère jusqu'à ce que l'hôtesse nous dise "mesdames et messieurs nous amorçont notre atterrissage sur Ouagadougou..." et là je ne peux plus retenir mes larmes. Je pleure, je tremble, la réalité me rattrape violemment, elle se rapproche, c'est du concret. Je viens enterrer mon papa chéri

 

Mes belles soeurs et mes amies sont à l'aéroport. Nous partons vers la maison, à l'approche de cette dernière je vois les tentes, les bus, les voitures, les chaises. C'est chez nous , mon Dieu c'est vraiment vrai. Mes frères et soeurs m'attendent dehors. Nous pleurons mais sans cris, nous seuls savons ce que nous avons enduré et géré ces derniers mois. Je rentre au salon, papa est là et je vois ma mère. Elle était assise et elle priait, son chapelet à la main. Cette femme qui a passé plus de 46 ans de mariage avec lui contre vents et marées était là sereine et elle priait. Je me jette sur ses jambes en pleure. Moi j'avais peur pour elle et elle était inquiète pour moi qui voyageais seule avec ma fille et ma peine. Ah les mères!

 

Il est bientôt l'heure on demande à tout le monde de nous laisser seul lui dire au revoir en famille. On ouvre le cercueil et je le vois enfin, serein, paisible, cette image me restera toujours. Nous pleurons tous sauf maman et de ma vie je n'oublierai jamais ses propos "pars en paix Touré, tu ne nous dois rien , c'est nous qui te devons tout. Pars tranquille car je n'ai rien à te pardonner mais s'ils te le demandent dis leur que je te pardonne. Pars en paix car ta famille est plus que jamais unie. N'ai pas peur tout ira bien au nom d'Allah....". Nous étions en pleurs mais stupéfaits face à la force et à la foi de notre mère

 

Nous finissons de lui dire au revoir, le cercueil sort pour l'adieu. J'ai l'honneur et la tristesse à la fois de lire l'hommage de la famille rédigé par mes frères et soeurs. Nous l'accompagnons jusqu'à sa dernière demeure au sein de cet établissement scolaire auquel il a consacré plus de 24 ans de sa vie Les écoles Internationales de la Jeunesse/Adama Abdoulaye Touré.  La cérémonie fut intense en émotions mais belle, bien organisée et surtout digne, tout à son image! C'est donc vrai, je n'entendrai plus ce rire enjoué, fort et ironique, ses blagues et ses remises à l'ordre...

 

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Le 1er bachelier de son village quand même! 

 

C'est donc vrai mon père est parti, Adama Abdoulaye Touré nous a quitté, mon beau et fière prince Songhrai n'est plus,  mon héros, mon inspiration s'en est allé et même le soleil s'est caché un instant pour que nous l'enterrions, il soufflait un petit vent frais qui apaisait quelque peu nos coeurs endoloris en ce dimanche soir. Mais quand je suis seule et que je ferme les yeux, je peux entendre son rire unique, je peux l'entendre siffloter comme quand il me ramenait de l'école primaire, je peux l'entendre me dire "disparaîs" quand j'ai fait une bêtise et ça me fait toujours le même effet... 

 

D'aucuns ont connu le professeur, le militant farouche, l'homme de conviction, l'homme qui inspirait ordre et discipline et parfois même la crainte. Moi étant la dernière j'ai connu le père , le grand père aimant et attentionné et qui faisait toujours passé l'intérêt supérieur de sa famille avant tout dans l'amour, la justesse et la fermeté. J'envierai toujours à mes frères et soeurs le fait que quoi qu'il en soit ils auront passé plus d'années à ses côtés que moi. Mais on ne peut pas tout avoir... 

 

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 Ouagadougou, Dassasgho, Secteur 28

 

Nous gardons de lui ses enseignements et ses principes qui ont guidé sa vie: l'amour du travail bien fait et des belles choses, l'ordre et la discipline, la politesse, l'abnégation au travail, le courage, l'intégrité, l'humour, la culture, les leçons d'histoire, l'amour des siens et de sa famille restreinte et élargie et surtout la gratitude. Il le répétait sans cesse:

- "Ne soyez jamais ingrats et ayez la victoire modeste".

- "Battez vous pour vos convictions mais n'humiliez jamais personne".

- "Travaillez, travaillez car même si vous n'êtes pas super intelligents à force de travailler vous y arriverez toujours".

 

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Le papa, le papy

 

Jusqu'à maintenant je n'arrive pas à dire la "mort" de papa, je dis toujours le "départ" de papa. Parce que pour moi il est en moi, en tous ses enfants et en sa descendance entière. Il est parti mais nous le portons dans nos coeurs et il est dans toutes nos prières. Nous lui devons tant... Mais quoi que fut notre père je sais qu'il n'aurait pas été ce qu'il fut sans notre mère. Nous prions pour que Dieu la garde encore longtemps auprès de nous dans le bonheur et la santé. Le deuil en expatriation marque à jamais, il faut avoir les ressources pour vivre son deuil pleinement et pour rebondir après. Et encore moi j'ai eu la chance de le voir une dernière fois et ce n'est pas le cas pour de nombreuses personnes loin de chez elles. A lire Déprimé(e) toi? ça n'arrive pas aux africain(e)s...

 

Mon père a eu un mélanome, un cancer de la peau qui se manifeste par une tâche noire ou pigmentaire sur une partie du corps, lui il l'avait sur son talon. Connaissant les douleurs atroces infligées par certains cancers, papa n'a pas souffert, il n'a eu aucun effet secondaire après sa seule chimiothérapie et il est parti paisiblement et très dignement entouré de ses enfants. C'est une chance inouïe. Même les médecins étaient étonnés. Un documentaire m'a appris que si on a au plus 10 points de beauté sur le bras droit on est un sujet à haut risque. Dans tous les cas faites attention à chaque parcelle de votre corps et faites des bilans de santé régulièrement. Mieux vaut être paranoïaque ou hypocondriaque que mort.

 

Si vous avez la chance d'avoir vos parents en vie appelez les! Ne ratez pas une occasion de dire à ce que vous aimez que vous les aimez. Merci d'avoir une pensée et des prières pour notre père, mon héros. 3 ans déjà aujourd'hui... Nous avons crée en son nom avec mes frères et soeurs une fondation en Janvier 2013 pour perpétuer ses oeuvres "Fondation Adama Abdoulaye Touré pour la Science et l'Education". Nous avons une page Facebook du même nom, le site Web est en construction... Pour tout renseignement ou don: 00226 25412210 et 0022673477300 et 01 BP 53 Ouagadougou 01.

 

De Fatim pour papa, avec tout mon amour et ma gratitude.

 

 

 


27/10/2015
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